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Hommage à Jean Rouch

Jean Rouch est mort, accidentellement au Niger à l’âge de 86 ans, le 18 février 2004, dans cette Afrique qu'il avait tant filmée, étudiée. On peut dire de lui qu'il a inventé la profession d'ethnocinéaste” Ses films sont aussi précieux sur les peuples africains que déterminants dans l'histoire du cinéma.

Jean Rouch effectue son premier voyage en Afrique en 1941, alors qu'il est encore ingénieur des Ponts et chaussées. Passionné d'ethnologie, il voit rapidement dans le cinéma un moyen de faire connaître au public européen les traditions et la culture africaines. Refusant tout "exotisme", il s'attache à montrer ces rituels à l'état brut, tout en ajoutant un commentaire très personnel, comme dans l'un de ses films les plus célèbres, Les Maîtres fous (primé à Venise en 1957), dans lequel est perceptible le profond respect du réalisateur qui emploie, à propos de son travail, le terme de "ciné-transe".

Parallèlement à ses nombreux travaux en Afrique, Jean Rouch se fait connaître en France avec Moi, un Noir, Prix Louis-Delluc 1958 . En 1960, il tourne dans Paris avec le sociologue Edgar Morin Chronique d'un été, primé au Festival de Cannes

En vérité, Jean Rouch savait ce que filmer veut dire. Il en a fait une passerelle entre les hommes, un mode d’investigation du monde, un mode de recherche parmi d’autres avec sa suite singulière de tentatives, autour de 120 films, pour se recentrer par rapport au réel, pour y avoir accès autrement

L'influence considérable de Rouch dépasse le cadre du documentaire. Les cinéastes de la Nouvelle Vague, notamment Jean-Luc Godard, ont ainsi été très marqués par les films tournés caméra à l'épaule d'un artiste qui a été dans les années cinquante le fer de lance de ce qu'on appelle alors "cinéma direct" ou "cinéma vérité". Rouch réalise d'ailleurs un des sketchs du film-manifeste Paris vu par..., aux côtés, entre autres, de Claude Chabrol et Eric Rohmer. Fondateur en 1952 du Comité du Film ethnographique, cet homme cultivé et enthousiaste a été directeur de recherche au CNRS et présida la Cinémathèque de 1987 à 1991.

Pour lui, ni les règles, ni les principes, ni même les faits n’étaient sacro-saints ; il pensait utile d’en changer, de chercher des faits nouveaux, de nouvelles interprétations naturelles, de nouvelles règles et comparer. Il s’est battu pour que le droit des hommes à chercher et créer librement soit préservé, même si cela exige du pouvoir en place de gros sacrifices et « honte à ces spéculateurs, disait-il, qui ne reculent devant rien et veulent se saisir de collections scientifiques pour les dénaturer à des fins mercantiles ». Une pensée moderne et annonciatrice qui n’a pas attiré que de la sympathie et qui a fait grincer pas mal de dents, mais à l’image des Dogons qui pensent que c’est par le désordre que les progrès arrivent dans le monde, Jean Rouch a choisi les pratiques d’un homme libre, jusqu’à devenir un maître du désordre qui n’a cessé de soulever le masque de la décomposition du vivant.

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