Avoir vingt ans dans les Aurès
Samedi 10 novembre à 16h. Cinéma Victor Hugo. Dans le cadre du programme du 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. • Réalisé par René Vautier • France, 1972, 97 min • Avec Philippe Léotard, Alexandre Arcady, Hamid Djellouli, Jacques Canselier, Jean-Michel Ribes, Alain Scoff, Jean-Jacques Moreau, Michel Elias.
Le 21 avril 1961, dans le massif des Aurès (Sud algérien), un commando de l’armée française formé d’appelés bretons affronte un groupe de l’Armée de Libération Nationale lors d’une embuscade. Les soldats parviennent à faire prisonnier deux fellaghas, dont une femme, et à trouver refuge dans une grotte. Une plongée dans les contradictions de la guerre d’Algérie autant que dans celles de l’âme humaine…
Prix de la critique internationale (Cannes 1972).
Critique
Par Marion Pasquier
Avoir vingt ans dans les Aurès, mourir dans les Aurès. Tel est le destin de Noël, membre d’un contingent d’appelés bretons insoumis et pacifistes que le lieutenant Perrin (Philippe Léotard) aura réussi à engager malgré eux dans l’horreur de la guerre. Noël était le seul à n’avoir jamais utilisé son arme, le seul à être allé au bout de ses convictions en libérant un prisonnier algérien promis à la « corvée de bois » et en désertant avec lui dans le désert des Aurès. Il mourra tragiquement, et sa mort sera opportunément utilisée par son lieutenant pour appeler ses hommes à la vengeance contre les algériens. À une mort reçue, une mort rendue.
C’est en leur faisant assimiler ce principe que les dirigeants des appelés ont amené ces derniers à devenir des tueurs. « Au début on tire n’importe où parce qu’on a la trouille, après on vise parce que l’on y prend goût » raconte l’un d’eux. Par le biais du récit d’un soldat instituteur blessé, Avoir vingt ans dans les Aurès nous montre le mécanisme conduisant des insoumis à devenir des exécutants dociles. En exergue du film, René Vautier explique par des cartons que sa fiction résulte d’une enquête menée sur des centaines de soldats, que tous les faits pourraient être confirmés par au moins 5 personnes. La fiction prend bien valeur de document.
Dans certaines séquences, on sent un basculement vers la chronique : lorsque les soldats racontent face caméra, ou lorsque cette dernière, en mouvement, prend le temps de décrire les êtres à l’écran, les appelés portés par l’énergie du groupe ou, dans un très beau moment, la famille d’algériens accueillant Noël dans leur tente et s’occupant de lui. Le récit, alors, fait une pause, pour nous permettre de contempler les personnages, de nous approcher d’eux.
Avec ce film, René Vautier pose un acte antimilitariste efficace. Via un récit scandé par des chansons disant l’ignominie du combat (« fous pas / ton pied dans cette merde / c’est une vraie histoire de fous »), il démontre le mécanisme effrayant par lequel tout pacifiste peut se transformer en machine à tuer, happé par la violence de la guerre.
René Vautier
Né en 1928 à Camaret-sur-Mer, d’un père ouvrier d’usine et d’une mère institutrice, il mène sa première activité militante au sein de la Résistance en 1943, alors qu’il est âgé de 15 ans, ce qui lui vaut plusieurs décorations.
Après des études secondaires au lycée de Quimper, il est diplômé de l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC). En 1950, son premier film, Afrique 50, chef-d’œuvre du cinéma engagé, lui vaudra 13 inculpations et une condamnation de prison, pour violation du décret Pierre Laval. Il sort en juin 1952. Afrique 50reçoit la médaille d’or au festival de Varsovie.
Engagé en Afrique sur divers tournages, il rejoint le maquis des indépendantistes du FLN. Directeur du Centre Audiovisuel d’Alger (de 1962 à 1965), il y est aussi secrétaire général des Cinémas Populaires.
De retour en France, il fonde, en 1970, l’Unité de Production Cinématographique Bretagne (UPCB) dans la perspective de « filmer au pays ».
Comme Jean-Luc Godard, qu’il ne rencontre qu’en 2002, il participe à l’aventure des Groupes Medvedkine en 1968, le seul collectif cinéastes-ouvriers de l’histoire du cinéma, René Vautier est un des très rares cinéastes à développer une théorie en acte de l’image.
Il a reçu en 1998 le Grand Prix de la Société Civile des Auteurs Multimédias pour l’ensemble de son œuvre.